Par Monika Salek, Coach professionnelle, Esprit Korzen, et Marion Séré, Formatrice en communication et résolution de conflits et médiatrice
La crise actuelle bouscule depuis des mois déjà nos habitudes, nos émotions et nos comportements. De nombreux changements mis en place pour s’adapter à cette nouvelle réalité nous forcent à réinventer notre quotidien afin de préserver ce qui est le plus précieux à nos yeux : notre santé.
Au moment où la santé mentale et le mieux-être des employés préoccupent un nombre grandissant d’organisations, il est difficile de prévoir quelles seront les conséquences réelles de ces évènements sur la santé psychologique des individus. L’employeur qui souhaite préserver la saine performance de ses équipes est à la recherche des stratégies gagnantes pour le bien de tous. En choisissant de valoriser un climat organisationnel qui permet à l’individu de montrer sa vulnérabilité et d’être authentique, il contribue à créer un environnement de travail plus agréable et productif grâce à la créativité et la connexion générées. C’est ce qui est démontré par l’étude réalisée par Mark Fotohabadi et Louise Kelly publiée dans le Journal of General Management. En effet, l’authenticité favorise une résolution productive et positive des conflits par l’adoption de comportements actifs et constructifs.[1] [2] De plus, cette capacité émotionnelle aurait tendance à diminuer les risques liés à l’épuisement professionnel en permettant à l’individu de reconnaître et de gérer efficacement le stress.
Ainsi, afin d’entretenir des liens professionnels authentiques et sains, une communication consciente et responsable peut jouer un rôle clé. Car la communication est à la base de toute relation et nous communiquons que nous en soyons conscients ou non. Tous nos comportements, verbaux et non verbaux, reflètent nos expériences, nos perceptions, nos besoins et nos émotions. Ils témoignent de ce qui se passe en nous et influencent constamment la qualité de notre relation à la fois à soi et à l’autre. C’est pourquoi mieux se connaitre offre la possibilité de comprendre notre mode d’interaction et son impact sur ceux qui nous entourent. De même, nous pouvons modifier, avec bienveillance, ce qui ne nous convient plus en utilisant nos forces pour vivre des relations satisfaisantes et être plus heureux.
Développer nos compétences relationnelles nous permet également de prévenir et d’apprendre à mieux gérer le conflit. Le processus de la communication non violente, développé par Marshall B. Rosenberg, vient enrichir ces compétences. Cette approche, que nous vous présentons ici, permet d’ouvrir l’espace de dialogue nécessaire à l’échange afin d’amener plus de compréhension, d’empathie, d’authenticité et de connexion à notre mode de communication.
Le processus de la communication non violente
L’importance des faits
Lorsqu’un conflit survient à partir d’une perception différente, prendre le temps de revenir aux événements factuels recadre et apaise la situation. Prendre du recul et démêler les faits de l’histoire qu’on se raconte rétablit aussi le pont entre les personnes qui sont en conflit : au moins, on s’entend sur les évènements.
L’autorisation des sentiments
Ensuite, on peut se demander : qu’est-ce que cet évènement stimule chez moi comme émotions ? C’est important de se poser la question, car nos émotions sont normales et légitimes. Elles sont aussi un signal qui nous indique qu’une réaction à un stimulus est enclenchée, qu’elle soit agréable ou désagréable.
Quand le « parce que » change de place
On peut alors se poser la question de l’origine de nos émotions. Par exemple : « Est-ce vraiment parce que la réunion est reportée à la semaine prochaine que je me sens si contrariée ? » Si c’était le cas, tout le monde réagirait tout le temps de la même manière lors d’un report de réunion. Mais ce n’est pas la réalité : certains pourraient en être soulagés, surtout si leur horaire est déjà surchargé. L’évènement est en fait un stimulus externe. Il n’est pas la cause de nos émotions. L’émotion ressentie est plutôt un signal pour quelque chose de plus profond en nous, soit l’expression d’un besoin, d’une valeur ou d’un désir intrinsèque. Une émotion agréable est le signal d’un besoin comblé, tandis qu’une émotion plutôt désagréable indique un manque, quelque chose à l’intérieur de nous qui demande de l’attention.
Empathie envers l’autre personne
Quand on prend conscience de ce qui réagit en nous, de nos besoins, quelque chose s’apaise et se relâche dans notre corps. On reconnait la légitimité de notre réaction et on en comprend l’origine. On a alors plus d’espace intérieur pour regarder la situation avec un pas de recul. Ainsi, au lieu de contrattaquer ou de rester fâché contre la personne avec qui on est en conflit, on peut plutôt considérer son point de vue. Que s’est-il passé pour elle ? Quelles émotions se sont déclenchées chez elle ? Pourquoi ? Qu’est-ce qu’elle essayait d’atteindre quand elle a choisi d’agir de cette manière ? On émet des hypothèses, car on ne peut jamais être certain de ce que l’autre ressent. Et même si sa stratégie ne nous convient pas, on peut comprendre ses possibles besoins. Cette démarche de comprendre l’origine de nos émotions, au-delà du stimulus initial, n’est ni une psychothérapie, ni le fait de vouloir analyser les autres et être supérieur. Il s’agit plutôt de comprendre nos vraies motivations, celles qui nous poussent à agir, celles qui nous font réagir, car c’est à partir de cette compréhension que l’on cesse de voir l’autre comme un ennemi et que l’on peut voir l’humain en face de nous. On est aussi capable de se responsabiliser et d’agir comme tel.
Vers le changement : faire des demandes
Après ce processus intérieur, nous saurons plus facilement exprimer à l’autre ce qui a été difficile pour nous et l’écouter. Cela augmente les chances d’avoir un dialogue vrai, constructif et qui débouche sur des actions concrètes. Et si nous faisons des demandes à l’autre, il est important qu’elles soient claires et réalisables, pour que l’autre sache à quoi il dit oui ou non.
Pour la partie qui suit, nous relatons une situation qui aurait le potentiel de dégénérer et voyons comment nous pouvons l’aborder si nous mettons ces nouvelles lunettes qu’est le processus de communication non violente. Nous vous invitons à trouver une situation difficile que vous avez vécue impliquant une autre personne et à faire le même travail que dans notre exemple. Votre situation peut être un commentaire qui vous a été fait ou un « non » que vous avez reçu et qui suscite encore aujourd’hui de la colère, de la peine, de la frustration, des émotions disons « désagréables ».
Scénario
Marion a fini de rédiger un rapport de projet qu’elle fait lire à sa collègue. Après l’avoir lu, celle-ci lui répond de la façon suivante : « Ça ne va pas. Cette section du rapport est incomplète ! » Frustrée, Marion pense : « Ma collègue a encore critiqué mon travail, comme à chaque fois que je lui présente quelque chose. Elle est incapable de reconnaitre et valoriser le travail des autres et cela me démotive complètement ! Je ne veux plus travailler avec elle ! »
Observations
Est-ce que la collègue de Marion critique vraiment son travail « à chaque fois » ? Quels sont les faits objectifs, ici ? Quelle est l’histoire que Marion se raconte et qui amplifie peut-être sa réaction ?
Émotions
Quelles émotions sont suscitées chez Marion quand elle entend ce commentaire de sa collègue? Qu’est-ce qu’elle ressent? Pour Marion, le signal ressenti est une grande frustration. Est-ce qu’elle se sent frustrée parce que sa collègue critique son travail? Ou l’origine de sa frustration est-elle ailleurs? En prenant le temps de s’arrêter quelques instants, de regarder la situation et ses émotions avec curiosité et sincérité, Marion constate qu’elle se sent frustrée parce qu’elle aimerait qu’on reconnaisse qu’elle met tout son cœur dans ce travail et souhaiterait que l’on voie ses efforts et ses compétences à leur juste valeur.
Qu’en est-il dans votre situation? Qu’est-ce que l’émotion ressentie vous dit de vous, qu’est-ce qu’elle vous signale?
Empathie envers l’autre
En touchant à l’origine de ses émotions, Marion a maintenant la clarté et l’ouverture suffisantes pour regarder la situation du point de vue de sa collègue. Que s’est-il passé pour elle? Marion émet des hypothèses : elle sait que sa collègue a lu le rapport complet et elle se sent peut-être stressée de voir qu’une section est, selon elle, incomplète. Ressent-elle une pression d’être elle-même bien vue par leurs supérieurs? Se pourrait-il qu’elle veuille être rassurée sur sa place dans l’équipe, dans son travail?
Pouvez-vous faire le même travail pour votre situation? Regardez avec curiosité quel besoin l’autre personne a essayé d’exprimer, peut-être maladroitement.
Dialogue et demande
Une fois que Marion a exprimé ce qui n’a pas été bon pour elle et entendu ce qui est important pour sa collègue, au-delà de ce commentaire qui l’a blessée, elle aurait peut-être envie de préciser à sa collègue de quelle manière elle aimerait recevoir des rétroactions et commentaires sur son travail à l’avenir.
Et vous, quelle demande aimeriez-vous faire, à vous-même ou à l’autre personne?
Comme vous pouvez le constater, ce type de communication nous demande de prendre un temps d’introspection afin d’agir au lieu de réagir et ainsi augmenter nos chances d’entretenir des relations satisfaisantes. Cela fonctionne même lorsque notre interlocuteur n’est pas initié à cette approche. Nous pouvons ainsi devenir un leader responsable, authentique et empathique du dialogue au service de la relation tout en demeurant cohérent avec soi.
Choisir l’approche de la communication non violente comme modèle de communication peut réellement transformer notre regard sur la vie. Les prises de conscience qui l’accompagnent nous guident pas à pas vers une meilleure version de nous-mêmes où l’authenticité, la bienveillance et la connexion deviennent des fondations solides de nos relations personnelles et professionnelles. À l’ère où le télétravail contribue d’un côté à la conciliation travail-famille et de l’autre, nous isole du reste du monde, le fait de mieux se connaitre, de s’appuyer sur ses forces et de développer de nouvelles compétences relationnelles nous aide à préserver l’équilibre et prendre des décisions éclairées. Les occasions sont nombreuses pour choisir l’impact que nous souhaitons avoir dans notre vie et, par effet même, préserver notre santé.
[1] [2] Source: Making conflict work: Authentic leadership and reactive and reflective management styles, Journal of General Management 2018, Vol. 43(2) 70–78 https://www.researchgate.net/profile/Mark_Fotohabadi/publication/322712668_Making_conflict_work_Authentic_leadership_and_reactive_and_reflective_management_styles/links/5a74b227aca27229a1bca08d/Making-conflict-work-Authentic-leadership-and-reactive-and-reflective-management-styles.pdf?origin=publication_detail
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